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Révolutions en Tunisie et en Egypte, élections controversées en Côte d'Ivoire, problèmes sécuritaires au Niger... On se doute que derrière les images diffusées par les télévisions du monde entier, vivent des femmes et des hommes qui, tout en luttant pour leur liberté, doivent assurer leur vie quotidienne, celle de leur famille, en même temps que leur activité professionnelle est rendue difficile. Des témoignages de libraires et d'éditeurs nous sont remontés, ils sont saisissants.

Si les révolutions arabes ont sonné le glas des dictatures que l'on sait, nul ne connaît pourtant l'avenir qui leur sera donné.
Les débuts ont été enthousiasmants. Les soulèvements populaires en Tunisie ont ouvert la brèche, et le premier phénomène marquant du départ de Ben Ali c'est une parole libérée, par l'abolition de la censure. Selma Jabbès, directrice de la librairie Al Kitab, au centre de Tunis raconte :
"Nous respirons un bon air frais de liberté à Tunis, nous retrouvons notre fierté et notre identité... La librairie était au coeur des événements et nous avons passé près d'un mois dans les manifestations et le lacrymogènes tout en soutenant et encourageant ces jeunes qui ont su bien mieux que nous gérer la révolution et faire partir le dictateur pour nous mettre sur le chemin de la démocratie. Alors ce n'est pas cher payé ; la route est encore longue et le plus difficile reste à venir probablement, mais je suis pour ma part très optimiste pour l'avenir".
C'est elle entre autres qui, par le lancement d'une pétition, a permis que soit prise la décision de libérer le livre de l'obligation d'obtenir un visa du Ministère de l'intérieur. On a donc vu dans sa vitrine, et celles de ses confrères, les livres interdits jusqu'ici, dont "La régente de Carthage".

 

Des éditeurs témoignent aussi. Elisabeth Daldoun (Editions Elyzad) : "La parole est devenue libre, elle est là, palpable, concrète, dans la rue, chez le marchand de journaux, dans les médias. La censure s'est brisée. Je ne crains plus les mots qui m'inquiétaient, mais que nous décidions avec l'auteur de garder malgré le risque d'être tracassés". Ou encore ce très beau témoignage de Karim Ben Smail (Editions Cérès) : "Si je devais résumer, je dirais que les intellectuels et les décideurs culturels tunisiens sont passés (...) de l'humiliation à l'humilité. Humiliation par un régime qui nous a lentement et sûrement pressurisés, menacés, (...) nous ôtant le droit à la parole libre et nous confinant à une autocensure de fait (...). Humilité face à ce peuple tunisien qui nous a pris de court, et dont on pensait que le 'Benalisme' avait corrompu les valeurs et les énergies".

Mais un régime policier ne disparaît pas sans se battre, et notamment en frappant là où s'exprime librement la parole.
Badii Ben Younes a ainsi vu sa librairie Alkirtab à Bizerte, complètement détruite par "les milices de l'ancien parti au pouvoir, venues semer le trouble et la
zizanie
. Le 13 janvier 2010 notre librairie papeterie « ALKIRTAS » située dans le complexe commercial ‘BIZERTE CENTRE’ a été victime d’un acte de
pillage des plus sauvages. Une des milices de l’ancien régime a été envoyée pour mettre à sac le dit centre commercial (...) Résultat catastrophique : la librairie a été dévalisée, saccagée, puis incendiée (...) Le bilan est lourd : plus de 89.000 € de marchandises réduits en cendres, documents et archives détruits, agencement et local inexploitables, et cinq employés qui se retrouvent à la rue".
Lisez dans notre rubrique "Vie du livre" le témoignage qu'il nous a adressé.

La situation est incertaine également en Egypte. On l'ignore souvent, mais il y existe une réelle minorité francophile, et Le Caire ne compte pas moins de six librairies francophones. A des degrés divers elles ont également traversé les événements récents avec difficulté. Au Caire, Zeina Badran, directrice de la librairie Livres de France a dû prendre la décision de fermer ses deux points de vente. Quant à la librairie Oum El Dounia, située à 20 mètres de la place El Tahrir, « l’activité a été complètement interrompue pendant 17 jours et depuis la réouverture, nous avons dû fermer plus tôt à quatre reprises par principe de précaution ». La libraire, Agnès Debiage, poursuit : " La sécurité au Caire est loin d’être bonne. Les gens se sont armés pendant les évènements et la tension est encore très vive. Politiquement, rien n’est résolu. Certes Moubarak est parti mais ce sont toujours les mêmes qui tiennent le gouvernement. Côté opposition, aucun leader (à part peut être Amr Moussa le président de la Ligue arabe) n’a la carrure adéquate. Baradei est très controversé par le peuple qui ne veut pas de lui.(...) L’Egypte a gagné une liberté bien méritée et nous en sommes très fiers pour elle. Mais ce n’est que la première étape (certes décisive) d’un long processus vers la démocratie et l’équilibre".
Lisez son témoignage complet dans notre rubrique"Vie du livre".
Qu'en sera-t-il de la censure dans ce pays où les idées politiques n'étaient pas les seules à être réprimées. N'y avait-on pas interdit pendant trois mois le premier tome du dernier ouvrage de Gilbert Sinoué "Le souffle du jasmin" parce qu'y figurait sur la couverture le titre de la série "Inch Allah" ? On peut en rire, comme de toute censure imbécile, mais les choses vont bien au-delà, on s'en doute.

C'est poursuoi il est intéressant de mettre en balance les paroles de ces libraires avec les images diffusées sur les télévisions du monde. Les librairies sont de bons témoins des réalités d'une société.