Variations sur le temps qui passe, la jeunesse et les occasions perdues, ou encore sur la difficulté des êtres à se rencontrer, les romans de Modiano possèdent un charme fou, auquel celui-ci n’échappe pas. L’histoire est simple. Bosmans se souvient du temps de ses vingt ans, lorsqu’il travaillait dans une librairie (aujourd’hui disparue, comme tant d’autres) et qu’une amitié, ou une forme d’amour, le liait à Margaret. Cette jeune française née à Berlin, aux origines un peu troubles, semble fuir un passé dont elle ne parle pas. Sa rencontre avec Bosmans n’étonne pas, lui aussi fuit, en l’occurrence une mère et un beau-père à l’allure de prêtre défroqué. « Ils n’avaient décidément ni l’un ni l’autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien. » Ils prennent appui l’un sur l’autre, à l’aube d’un avenir incertain mais qui pourrait advenir, si ce n’est que cette angoisse en eux agit comme un empêchement. Sinon, comment expliquer la disparition soudaine de Margaret et malgré sa promesse, son silence ?
Chez Modiano cependant, le temps n’efface pas, comme il ne rapproche pas. Ainsi, il imagine Bosmans lisant un livre intitulé “Les corridors du temps”, où les gens “sont souvent côte à côte, mais chacun dans un corridor du temps différent. S’ils voulaient se parler, ils ne s’entendraient pas, comme deux personnes qui sont séparées par une vitre d’aquarium». Pourtant les indices s’accumulent, « brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés”.
Ainsi, le fil se déroule, et il peut surprendre. En effet, ce n’est pas courant chez Modiano, de penser qu’à rebours du passé, si l’on ose dire, se profile une issue. Retrouver, peut-être, ce qu’on pensait perdu. Le livre ne s’appelle-t-il pas “L’Horizon” ?
Ouvrage très modianesque, c’est formidable.
Patrick Modiano : L”Horizon, Gallimard, 2010, 172p, 16,50€