"Le grand roman du Moyen-Orient", dit l'éditeur. Difficile de croire qu'un seul livre puisse être cela, alors que tout est compliqué dans cette région du monde. Mais précisément. Comme le disait Alexis Jenni dans un récent article du journal Le Monde, le roman le permet, par "ce concept tout romanesque qu'est le personnage". Ce personnage, c'est Kamal Jann, neveu de cet autre Jann terrible de cruauté et de cynisme, celui qui a fait assassiner son père, et qui contrôle les services de sécurité en Syrie. On imagine bien, à la lueur de l'actualité, que la Syrie repose sur un régime fort et sans états d'âme. Ce qu'on sait aussi, c'est que ce régime s'insère dans un équilibre régional que personne n'ose réellement ébranler. Et ce qu'on perçoit bien dans ce roman, c'est que tout le monde, y compris parmi ses ennemis supposés, s'en accommode. Mais surtout, à travers Kamal Jann, s'éclaire toute l'ambiguïté d'une région qui balance entre deux mondes, l'Orient et l'Occident. Lié au cercle du pouvoir syrien, en même temps que victime d'un régime qui l'a rendu orphelin, Kamal est un voyageur entre deux rives. Oriental, enfant de Damas, il est aussi avocat à New York, amateur d'art contemporain, mélomane averti. Mais chez lui, la famille permet difficilement d'échapper au destin qu'elle impose à ses enfants. Sur fond de manipulations politiques, le personnage de Kamal Jann va être mêlé, contre son gré, à une série d'intrigues, où interviennent par moments le Mossad et la CIA, et qui apparentent le livre à un thriller. La proximité de la Syrie avec le Liban, par familles interposées, s'éclaire aussi, et permet aux Européens que nous sommes, de percevoir la complexité de la région.
Comment (sur)vivre dans ces perpétuels déchirements ? La folie guette, la douleur est constante, et tout l'art de Dominique Eddé, libanaise francophone, est de nous offrir une version contemporaine de la tragédie grecque, celle que vivent aujourd'hui les familles déchirées du Proche-Orient.
Un roman écrit avant les événements de Syrie, mais qui fait bien sûr écho à leur actualité.
Dominique Eddé : Kamal Jann, Albin Michel, 2012, 400p.
Commandez ce livre