Alger, 1957, veille de la Bataille dite d’Alger de sinistre mémoire. Les militaires français ont pleins pouvoirs, remplacent la police et instaurent la torture comme méthode d’interrogatoire. Jérôme Ferrari construit un huis clos entre un lieutenant, son capitaine, et un chef du FNL arrêté. Le livre s’ouvre par une accusation, « Je me souviens de vous, , mon capitaine, je m’en souviens très bien, et je revois encore distinctement la nuit de désarroi et d’abandon tomber sur vos yeux quand je vous ai appris qu’il s’était pendu. » Le lieutenant accuse son capitaine, son frère d’armes, d’avoir voulu prendre de la hauteur, d’avoir cru qu’il valait mieux que ses hommes, et d’avoir cherché la fraternité auprès d’un ennemi, plutôt qu’auprès des siens, de les avoir trahis par ses états d’âme… Jérôme Ferrari donne-là un livre admirable, une interrogation sur le Mal. Comment vivre en adéquation avec soi et avec l’Histoire est la question qui traverse ce livre de douleur et de rédemption. Peut-on servir une cause, juste, injuste, sans se perdre, se sauver de soi-même et survivre à la haine de soi ? Le style, la profondeur de ce livre qui ose sonder la part obscure de l’homme, nous rappelle la grandeur de l’œuvre de Dostoïevski. Pas moins.
De Jérôme Ferrari, vient de sortir en poche (Babel), Dans le secret, roman sur la filiation et la mémoire, publié en 2007. Rappelons aussi, toujours chez Actes Sud, son magnifique Un dieu un animal.
Jérôme Ferrari : Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud, 2010, 17€