Ce n’est pas la chanson de Léo Ferré qui donne son titre au nouveau roman de Julian Barnes, mais le souvenir des vingt ans du narrateur. A l’époque, il était amoureux d’une jolie fille, intrigante, avec laquelle il flirtait un peu, comme on pouvait le faire au début des années soixante, entre désir et retenue. Il rêvait, comme ses camarades d’Université, à une vie qui rivalise avec le Grand Art. L’amour, le destin avaient pour eux une majuscule. Et puis, l’un d’eux, le plus brillant s’est suicidé, en plein bonheur, en plein succès, et le narrateur de Julian Barnes a préféré y voir un acte philosophique, enviable presque par sa grandeur. Aujourd’hui à la retraite, satisfait d’une vie qui lui a fichu la paix, il songe à ces années-là, ou plutôt une lettre oubliée lui remet sous le nez le jeune homme qu’il était. Pas aussi bien qu’il a voulu nous le dire jusqu’ici… Julian Barnes épouse totalement le point de vue de son personnage, un homme quelconque, que l’on suit douillettement dans l’évocation de ce qu’il fut, jusqu’à cette lettre. Ignoble.
Va-t-il reconsidérer toute son existence à la lumière de cette vérité-là ou la ranger posément dans son passé, comme il a toujours fait ? Sous le banal d’une vie ordinaire, Julian Barnes excelle à parler du temps, du choix, de la responsabilité, et des mensonges qu’on se raconte, sur soi-même.
Julian Barnes : Une fille qui danse, roman traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2012.