Fallait-il braver Staline et mourir jeune, en martyr comme le poète Ossip Mandelstam, le dramaturge Meyerhold, comme les proches des grandes poétesses Akhmatova et Marina Tvsetaeïva réduites au silence ? Ou valait-il mieux courber l’échine, lécher la main du Petit Père des peuples et durer ? Chostakovitch, comme Pasternak s’est plié au système, pour préserver sa famille, ses proches et sa vie. Est-ce du courage, est-ce de la lâcheté ? Qui peut juger ce que suppose vivre dans la terreur ?
Julian Barnes entre avec maestria dans cette douleur intime. Sa biographie romancée pénètre la conscience et la peur, qui suinte à chaque page de cette existence confisquée. Tour à tour honoré, décoré, souvent interdit, Chostakovitch était paradoxalement plus joué et reconnu en Occident qu’en Russie qui jugeait sa musique « formaliste », élitiste ou grossière. On l’accablait de musiques de films de propagande, l’empêchant du même coup de composer des opéras pour lesquels il se sentait fait. Mais Staline assassina son opéra « Lady Macbeth de Mzensk », pourtant ovationné des deux côtés du rideau de fer, et il n’en composa plus jamais. Humiliation suprême, Chostakovitch fut envoyé en délégation aux Etats-Unis, défendre les médiocres canons de l’art soviétique et dénigrer publiquement Stravinski, réfugié aux USA. Stravinski, qu’il admirait plus que tout. Mais le coup de grâce vint lorsqu’à la fin de sa vie, Khrennikov, Secrétaire Général de l’Union des compositeurs, qui avait pourri sa vie, le somma de le rejoindre aux côtés des censeurs et du pouvoir.
Julian Barnes montre le tragique d’une existence qui aura bu le poison jusqu’à la lie.
Julian Barnes, Le fracas du temps, traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2016
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