Juin 2006, ce sera le premier anniversaire de l'assassinat de Samir Kassir, éditorialiste au principal quotidien de langue arabe de Beyrouth, An-Nahar .
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En décembre dernier, c'était le rédacteur en chef de ce journal, Gebrane Tuéni, qui était victime d'un attentat similaire.
Ces meurtres s'inscrivent dans la longue série d'assassinats perpétrés contre des figures emblématiques de la scène libanaise, notamment depuis celui qui a coûté la vie à l'ancien premier ministre, Rafic Hariri, le 14 février 2005.
Au centre de la capitale libanaise, en bordure de la Place des Martyrs, et en bas de l'immeuble occupé par le journal An-Nahar , une librairie s'est ouverte il y a trois ans, El Bourj. Créée par les propriétaires du quotidien, et dirigée par Michel Choueiri, elle s'est inscrite comme un haut lieu de la vie intellectuelle et culturelle de Beyrouth. Elle incarne également la présence forte de la langue française et des cultures francophones au Liban. A cet égard elle n'est pas la seule d'ailleurs, et elle s'insère dans un réseau de libraires qui a survécu aux 15 ans de guerre et aux difficiles conditions économiques et politiques dans lesquelles évolue le pays.
Le quotidien An-Nahar occupe une position phare dans la vie politique libanaise.Ce n'est pas un hasard si ses deux figures de proue ont été assassinées. Les assassins savent ce qu'ils font : comme toujours dans ces cas-là, comme ce fut le cas en Algérie durant les années de plomb, ou au Liban aujourd'hui, ce sont des figures de liberté qu'on veut faire disparaître. Terroriser et empêcher de penser. On tue donc les intellectuels et les faiseurs d'opinion.
Samir Kassir était l'un de ceux-là. Historien et journaliste, professeur à l'Institut des Sciences politiques de l'Université Saint-Joseph, il a publié plusieurs ouvrages qui ont fait date, une histoire de « La guerre du Liban » (Karthala), une « Histoire de Beyrouth » (Fayard), et quelques mois avant sa mort, un formidable petit livre constitué de « Considérations sur le malheur arabe » (Actes Sud). Il s'y interroge sur la difficulté d'être arabe aujourd'hui, dans une partie du monde qui a toujours été dominée, longtemps par les Ottomans, puis par les Européens, et aujourd'hui par des régimes peu ou pas démocratiques enserrés dans l'étau d'enjeux géostratégiques insupportables : la "question de Palestine" et la guerre en Irak, pour ne citer que ceux-là. Et pourtant le monde arabe n'a pas toujours été à la traîne de l'Histoire. Samir Kassir revient longuement sur la Nahda, ce mouvement de Renaissance que le monde arabe avait entrepris, notamment au contact de l'Autre, principalement Européen, et qui s'est perdu dans l'arabisme politique du siècle dernier.
Les Editions Actes Sud viennent de publier un livre posthume de Samir Kassir, consacré au « Liban : un printemps inachevé ». L'ouvrage reprend une vingtaine d'articles et d'éditoriaux consacrés à ce qu'on appelle maintenant « L'Intifada de l'indépendance », ce mouvement, aujourd'hui en partie entravé, qui défend l'idée d'un pays libre et démocratique.
Il y a donc des pays où l'on risque sa vie en écrivant et en diffusant ses idées. Face à l'obcurantisme, les journaux indépendants, comme les librairies, sont des îlots de liberté.
Philippe Goffe