Voilà une oeuvre qui sort des sentiers battus, comme on les aime. Louis Meunier est un ouvrier résigné qui travaille à la chaîne dans un usine d'équarrissage de poulets. Son job: zigouiller du volatile à longueur de journée, à coup de hachoir. Sa vie va prendre un nouveau tour le jour de sa rencontre avec Suzanne, la secrétaire du DRH, que des collègues se plaisent à harceler un peu trop lourdement. Au détour d'une convocation chez le directeur Blanchard, ils tombent amoureux. La vie et le temps passent, on se marie, on fait un enfant, on doit faire face à de nouveaux besoins ... Quand Louis, accompagné de son bien encombrant beau-frère, se retrouve à l'entrée de ce drôle de container, ses outils à la main, sa vie va prendre, une fois encore, un autre tour... De la chronique syndicale, le lecteur glisse lentement et inexorablement vers le thriller social, décalé et (presque) parodique; assez habilement des thèmes forts sont abordés comme les conséquences micro-économiques de la mondialisation ou les rapports familiaux complexes, sans forcer le spectacle ni donner de leçons de morale. Amateurs d'humour noir et mal-pensant, plongez-y !
Ravard et Ducoudray, La faute aux chinois, Futuropolis, 2011, 21,00 €.
On l'attendait, il est venu et on n'est pas déçus ! Comme d'aucuns sont hors la vie, Chabouté est hors modes, hors tendances. Il trace sa route comme les (anti)héros de ce nouvel opus. Il revient avec une magnifique perle noire, un road-movie déroutant et inclassable, un polar taiseux et hypnotique, un must dans l'oeuvre de l'auteur du très solaire Tout seul. Dès l'entrée en matière, on est collé à son siège, mieux qu'au cinéma ! Un type pas très net, frappé d'un très vif syndrôme de persécution, s'échappe d'une institution psychiatrique, persuadé de détenir les preuves d'un complot universel, et prend en otage deux vacanciers patibulaires partis à la recherche du grand frisson, au moins une fois dans leur vie. Et le lecteur d'embarquer avec eux pour une aventure extrême, une cavale singulière où il sera question de vieillard alcoolique jouant aux Lego, d'autoroutes truffées de caméras de surveillance, de ciragettes mal éteintes, de jogger essoufflé par la vie qui file trop vite pour lui ... Et les princesses dans tout ça ? L'auteur déconcerte, embrouille et égare son lecteur avec une classe rare. Et la précison du désordre, chez Chabouté, est implacable.
Christophe Chabouté, Les princesses aussi vont au petit coin, Vents d'Ouest, 2011,
A travers le regard de leur enfant, nous suivons grâce à un continuel mouvement de va-et-vient de chaque côté du Mur et d'une époque à l'autre la lente évolution idéologique et les étapes successives conduisant un jeune couple à quitter l'Allemagne de l'Est pour s'exiler "de l'autre côté". Après le temps de l'endoctrinement, les deux jeunes gens au moment de leur rencontre dix ans plus tôt sont de fervents partisans de l'idéal socialiste, vient celui de la dissidence difficile mais inexorable à cause de l'écrasement politique et social habilement évoqué, le sort funeste réservé par la Stasi à plusieurs compatriotes, la souffrance d'un déracinement inéluctable. Bientôt les jeunes ne se reconnaissent plus dans un monde bâti par leurs parents. Soulignons que l'intérêt vient aussi du fait que le passage à l'Ouest se fera légalement et constituera paradoxalement une torture supplémentaire (déchéance de la nationalité, perte d'emploi, lenteurs administratives, etc ...). Un pan de l'Histoire contemporaine allemande décrit avec justesse et émotion.
Simon Schwartz, De l'autre côté, Sabarcane, 2011, 17.50 €.