A l’occasion de la visite d’Alain Borer à Waterloo, invité ce mercredi 29 avril par l’Atelier du voyage, dont Graffiti est proche puisque nous participons à sa programmation, il est intéressant de rappeler l’apport original de cet auteur à la mythologie rimbaldienne. On ne présente pas Arthur Rimbaud, dont l’œuvre, -météorique-, et la vie, -courte et menée « dans la hâte »-, accompagnent cette part de nous-mêmes, commencée dans l’adolescence, qui veut que le monde demeure étonnant. Mais il reste à les lire, la vie et l’œuvre mêlées, et à montrer leur unité profonde, à quoi s’est attaché, depuis longtemps, Alain Borer, dans une démarche aussi personnelle qu’incontournable, sans doute.
Car pour beaucoup d’amateurs de Rimbaud, se profile en ombre cachée derrière le poète, ce nom d’Alain Borer, qui lui a consacré trente ans de recherches, depuis sa « rencontre » avec Rimbaud à Genève en 1965 où il dirigea une revue d’étudiants, Le Bateau ivre (1965), jusqu’à l’édition du centenaire (Œuvre-vie, Arléa, 1991).
Éminent rimbaldien donc, et poète lui-même, Alain Borer est de ceux qui ont éprouvé la Tentation du trajet Rimbaud, et il fut le premier à parcourir en personne tous les lieux, de Charleville à Aden et Harar, de ce vaste espace qu’il appelle la Rimbaldie, en univers parallèle d’un siècle à l’autre, dit-il, puisqu’il est arrivé en Abyssinie à 26 ans, à l’âge auquel Rimbaud y était venu. Il en a rapporté ce qui constituera la substance d’un travail au long cours. Ne dit-il pas lui-même, dans un de ses textes : «Je suis fait pour les long-courriers qui décollent à minuit de Roissy » ? Cette matière l’occupera donc longtemps. C’est d’abord un long-métrage, Le Voleur de feu, produit avec Léo Ferré en 1978, qui n’est plus disponible que dans les archives de l’INA ; c’est aussi un récit de voyage, pour Radio France, avec Laurent Terzieff ; et deux livres fameux. D’abord le mythique Un Sieur Rimbaud, se disant négociant, publié en 1983 aux Editions Lachenal et Ritter, devenu un objet rare, avec un texte de Philippe Soupault Mer rouge, et celui de Borer La terre et les pierres (puisque « Si j’ai du goût ce n’est guère que pour la terre et les pierres« , disait le poète) ; mais aussi avec une riche iconographie et des citations de poètes sur Rimbaud. Un livre « monstre », dit Borer, trop lourd à (re)publier tel quel aujourd’hui. L’autre livre, qui est en quelque sorte devenu la version définitive du premier, à la fois récit de voyage et roman philosophique, c’est Rimbaud en Abyssinie (Points Seuil). Deux livres donc, dans lesquels Alain Borer développe une nouvelle approche des questions «rimbaldiennes», et dont la conclusion essentielle est livrée dans une courte synthèse publiée en 1991 sous le titre Rimbaud, l’heure de la fuite (Découvertes Gallimard, illustré par Hugo Pratt). Une recherche enfin, qui aboutit dans ce qui est présenté comme une nouvelle cartographie de l’œuvre, et qui tient dans la découverte du «paradigme Œuvre-Vie», avec l’édition du centenaire, publiée sous ce titre d’ailleurs (Oeuvre-vie , Arléa, 1991).
C’est donc l’unité profonde de la vie de Rimbaud qu’Alain Borer explore, là où tant de commentaires ont manifesté une incompréhension légitime devant un itinéraire marqué par ce qui ressemble à une rupture radicale. « L’heure de la fuite » qu’évoque Alain Borer, c’est pourtant autre chose que le renoncement à la poésie. C’est la quête inachevée de la « vérité dans une âme et un corps », ces derniers mots d’Une saison en enfer, et son corollaire, l’indifférence à l’instant.
Rimbaud n’est pas un écrivain, dit Alain Borer, mais il est passé par l’écriture, et n’a fait que chercher ce qu’il appelait « la liberté dans le salut ». Autant dire que c’est une quête impossible, comme a pu l’être celle de Brel par exemple, mais qui donne une unité à une existence. Et Borer de citer cette phrase magnifique du poète arabe Al Maari : Les hommes sont des poèmes écrits par leur destin.
A ce titre, le regard d’Alain Borer sur Rimbaud s’applique à lui-même. La poésie, comme la littérature, ne nous parle qu’en référence à cette vie que nous tentons de mener. La force de ses livres est là.
Ill : Rimbaud vu par Ernest Pignon Ernest
« Certes, le livre, comme Malraux aimait à le dire du cinéma, est aussi une industrie.
Toutefois, il n’est pas que cela. Il est plus que cela.
Le livre, depuis ses débuts, est le compagnon de cette Liberté grande qui seule permet, à l’auteur comme au lecteur, de se façonner de l’intérieur, de comprendre le monde, l’histoire, de supporter et de surmonter les épreuves collectives comme personnelles, de traverser au besoin le désert. Et de transfigurer surtout ce que l’on reçoit pêle-mêle, au hasard des vagabondages et des braconnages, de beauté et d’esprit afin de mieux le partager. En bref, de vivre debout et avec les autres grâce à ce paradoxal objet, à ce recueil de signes, fait pour passer de mains en mains. Puisque sans transmission, vaine serait l’humanité. »
Ce beau texte, rédigé par le député de Savoie Hervé Guimard, figure dans l’avant-propos du rapport qu’il vient de remettre, en ce mois de mars 2009, à Christine Albanel, Ministre française de la Culture. L’objet de ce rapport était d’évaluer la loi relative au prix unique du livre, dite Loi Lang. Promulguée en 1981, et donc âgée de 28 ans, cette loi ne fut jamais remise en question, par quelque majorité politique que ce soit. Certains se sont interrogés, cependant, sur une éventuelle nécessité de « l’actualiser », et c’est ainsi que dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie débattue à l’Assemblée Nationale française en 2008, un amendement apparemment technique visait à réduire la durée de protection du prix du livre.
Hervé Guimard, membre du Conseil du Livre à Paris, fut chargé de ce rapport d’évaluation. Son constat est clair : la loi Lang est une loi moderne, une loi de « développement durable », et il ne faut pas la modifier. On peut lire son rapport, ou encore écouter son argumentation sur le buzz médias du Figaro.
Rappelons que le fondement de la loi sur le prix unique n’est pas une défense corporatiste des « petits » libraires contre la grande distribution, mais le maintien de la maitrise des prix des livres par les éditeurs. Cette logique inversée par rapport aux pratiques habituelles du commerce, où c’est l’aval de la chaîne qui dicte sa loi, permet à la création d’exister, de trouver un espace de visibilité dans un marché qui, sans cela, serait monopolisé par les blockbusters.
En Belgique, nous tentons depuis 25 ans d’obtenir une loi du même type. Nous avons porté, et Graffiti particulièrement, ce projet avec constance et ténacité, mais aussi avec un certain découragement. La Belgique est un édifice complexe, on le sait, construit sur des niveaux de pouvoir multiples et partagés, fruit des compromis institutionnels passés. Deux marchés du livre très différents, le flamand et le francophone, et deux manières différentes d’envisager la place du livre dans la culture, l’une déjà plus anglo-saxonne, pour le dire vite, l’autre, centrée sur l’idée de l’exception culturelle, rendent les choses encore plus difficiles. Le monde politique est donc partagé, différemment suivant les communautés, et s’il existe potentiellement une majorité éclatée de parlementaires en faveur d’une règlementation du prix du livre, il n’existe pas à ce jour de volonté politique. Là aussi sans doute est-ce une question de culture…
http://www.lefigaro.fr/medias/2009/03/10/04002-20090310ARTFIG00209-la-loi-lang-sur-le-prix-unique-du-livre-est-tres-moderne-.php
Après le Nobel à Le Clezio, petites réflexions sur l’attribution des prix littéraires qui font chaque année l’objet, soit de polémiques, soit de commentaires sarcastiques ou désabusés…
En effet, durant des années, les grands éditeurs que sont Gallimard, Grasset, Le Seuil, ont été accusés, à juste titre peut-être, d’influer sur ces prix par le biais de leurs auteurs ou de leurs amis membres des jurys. Il est évident que la composition de ces jurys pose question, comme pose question de manière générale, dans la presse écrite, la position des critiques littéraires qui sont également écrivains, et donc attachés à des maisons d’édition.
On peut répondre que ces grands éditeurs ne sont pas devenus grands par hasard, et que parmi les livres qu’ils publient, en figurent d’excellents. Plus globalement, il nous semble cependant que l’évolution des prix depuis quelque temps, témoigne en filigrane du dynamisme du monde éditorial bien sûr, mais surtout d’une tendance très actuelle de la littérature elle-même.
Le monde éditorial ? A côté des éditeurs cités, d’autres ont fait leur apparition dans la liste des prix, comme Actes Sud, Minuit, L’Olivier, POL, récompensant un vrai travail d’éditeurs, qu’il faut saluer…
Quant à la littérature ? Regardez le palmarès du Femina, du Renaudot, du Médicis, voire du Goncourt… A côté d’effets d’opportunisme, on ne peut que se réjouir de voir y figurer Jean-Philippe Toussaint, Laurent Gaudé, Philippe Claudel, Régis Jauffret, Jean Echenoz… Mais ce qui nous semble vraiment important, et qui nous tient à coeur, c’est la littérature francophone venue d’ailleurs. Nancy Huston, Jonathan Littell, Alain Mabanckou, Andreï Makine, Dai Sijie, et cette année 2008, Atiq Rahimi (Goncourt), Tierne Monenembo (Renaudot), sont nés dans une autre langue que la langue française. Pour certains, c’est la langue du colonisateur, pour d’autres la langue d’un changement de vie, mais toujours une langue choisie pour l’écriture. Et pour Atiq Rahimi, afghan devenu français, ce fut, comme dit le journal Le Monde, la langue de la liberté.
Tout cela, c’est du même ordre que l’élection d’Obama aux Etats-Unis. C’est le signe d’un monde qui s’ouvre aux autres, à l’ailleurs, au métissage, en un mot le monde de demain, n’en déplaise aux nationalistes identitaires qui sévissent un peu partout.
Et cette histoire qui avance peut manifester une certaine ironie, y compris en littérature. En 1989 fut créé à Paris le Prix Novembre, devenu depuis le Prix Décembre, en forme d’opposition au conformisme du Goncourt. Cet anti-Goncourt a souvent couronné d’excellents livres, et cette année c’est le formidable et impressionnant Zone, notre invité du 2 décembre qui l’a reçu. L’ironie de l’histoire ? Zone, ce « livre-monde » qui parcourt l’histoire du monde méditerranéen au prisme du vingtième siècle, et Singué Sabour, qui donne la parole à une femme afghane, l’un écrit par un français frotté de Moyen-Orient et de langues arabe et persane, et vivant à Barcelone, l’autre écrit par un afghan réfugié à Paris et cinéaste, auraient pu voir leurs prix inversés, en toute légitimité.
Goncourt, anti-Goncourt, (Obama), même combat ?