Per Petterson, nous avait séduits avec « Pas facile de voler des chevaux », un récit pudique sur la relation entre un fils et son père, dont il donne cette fois le pendant père-mère. « Maudit soit le fleuve du temps » est gai comme le canal ! Et pourtant, quelle finesse dans le déroulé de ces vies étriquées ou ratées, frangées par la littérature, l’utopie politique et le grand amour. Des vies prêtes pour le grand soir, les lampions, la révolution, contrariées par les aléas de la vie, et qui se retrouvent en silence à la table d’une cuisine modeste. Le norvégien Petterson excelle à donner la mesure des petites et grandes fractures d’existences qui se taisent ensemble.
Per Petterson : Maudit soit le fleuve du temps, traduit du norvégien par Terje Sinding, Gallimard 2010
Trois jeunes gens et leurs mères, à Saint-Petersbourg, dans la Russie d’aujourd’hui, plombée par la guerre en Tchétchénie. Des jeunes gens aux destins si différents : l’un de père caucasien, et donc méprisé, qui tente d’échapper à la guerre et de retrouver sa mère ; un autre, soldat de troisième classe, souffre-douleur de son régiment, déserteur malgré lui. Ces deux-là vont se cogner l’un à l’autre, se sentir, peut-être s’échapper ensemble, dans un très beau moment. Mais l’histoire n’est jamais simple. Un troisième garçon est là, en révolte de son milieu petit-bourgeois, et qui pourtant défendra son territoire, sans vergogne.
C’est un livre où les mères sont toujours présentes. Celles qui tentent de sauver leurs fils de la guerre, ce sont les plus courageuses. On sait que, si souvent dans le cadre des conflits qui déchirent notre époque, ce sont les mères qui se battent pour cela. Et puis les autres, qui tentent simplement d’en sortir, de mener leurs vies en se sauvant elles-mêmes.
Un livre très fort, très sensible, qui porte aussi témoignage de ce que vivent les habitants d’une Russie minée par la guerre et une économie sauvage.
Bernardo Carvalho : ‘Ta mère, traduit du brésilien par Geneviève Leibrich, Editions Métailié, 210p, 17€