Peu avant sa mort, Jacques Henrard a eu le bonheur d’apprendre que son dernier livre allait être publié. Il s’agit de son testament spirituel, d’un retour sur ce que furent sa vie, sa foi, et sa longue errance dans le doute. Hostile et méfiant face à tout dogmatisme, il pose les questions essentielles que se pose l’homme, questions qu’il laisse toujours ouvertes; le récit s’adresse donc à tous, croyants ou non, porté par le souffle de la vie, le silence, la lumière; l’écriture est imagée, faite de mots simples, légers, fraternels, au raz des choses, à genoux et en toute humilité.
Jacques Henrard : Le marcheur à genoux, Age d’homme, collection “La petite Belgique”, 2008, 106p, 15€
Farouche défenseur des Lumières, Amin Maalouf dresse le constat de tous les manquements que ce siècle accumule au nom du progrès, de la démocratie, de la justice sociale. Désastres écologiques, guerres « civilisatrices », nationalismes, dictatures… Dans Les Identités meurtrières, Maalouf, le Libanais, de souche arabe mais chrétien, d’expression française et vivant en Bretagne, démontrait déjà l’absurdité du repli identitaire. Ne sommes-nous pas tous multiples ?
Très pessimiste quant à l’avenir de l’humanité, Le dérèglement du monde revient sur les origines historiques de la montée de l’incompréhension entre le Moyen-Orient et le monde occidental. Zéro partout, torts partagés, compte l’arbitre. Manque d’éthique d’un côté, esprit colonial de l’autre, ont abouti à une crispation des préjugés, et sont en passe de se cristalliser en haine de l’autre. Face à cette impasse explosive, Amin Maalouf plaide pour une refondation de nos valeurs communes, une invention d’autres rapports culturels, spirituels, ouverts à l’autre mais aussi à une réelle politique d’immigration, faite de droits et de devoirs. Il met en garde l’Europe contre sa cécité, sa frilosité comme dirait Elie Barnavi, et l’enjoint à retrouver son rôle de phare intellectuel. Faute de quoi, les « identités meurtries se feront meurtrières ».
Amin Maalouf : Le dérèglement du monde, essai, Grasset, 317p.
Pendant soixante-quatre ans, Boris Cyrulnik a tu, s’est tu à lui-même, son histoire d’orphelin de guerre, d’enfant caché puis placé en familles d’accueil. Il avait six ans lorsque la police française- et non la Gestapo- est venue arrêter sa mère.
Un ami l’emmène sur la traces de son passé, et Cyrulnik se souvient. Le plus extraordinaire n’est pas le récit de cet enfant sauvé mais le pourquoi il a été sauvé. C’est que, sans le savoir, le petit Boris fait déjà de la résilience, de la résistance. Espiègle, rebelle mais créatif, son instinct de survie lui permet d’enjamber le malheur, de se dire « ils ne m’auront jamais. » A l’évocation de son étonnant parcours, ce n’est pas l’émotion qui lui monte aux lèvres mais des images, des mots, des détails captés par un regard d’enfant et auquel il s’est arrimé pour se construire. Un grand petit livre.
Boris Cyrulnik : Je me souviens, L’esprit du Temps, €9.50.