On ne parle le mieux que de ce que l'on connaît intimement. La guerre, Chalandon la connaît et en parle comme aucun autre ... Cette guerre, c'est celle qui ravagea le Liban. Nous sommes en 1982. Georges, parce qu'il l'a promis à son ami malade, arrive à Beyrouth avec un projet fou, impensable : mettre en scène l'Antigone de Jean Anouilh et demander la collaboration d'un représentant de chaque communauté ; leur demander de paraître ensemble et oublier l'espace d'un instant la violence qui fait rage au dehors. Le théâtre comme trêve, la tragédie comme arme de paix. De camp en camp, sous le feu et la mitraille, Georges part à la rencontre de ces communautés chiite, sunnite, druze, maronite, chrétienne qui s'entredéchirent, et tente de négocier avec les chefs de milice un utopique cessez-le-feu pour que la mort cède la place à l'art, le temps d'une représentation... Voilà un livre bouleversant, d'une puissance évocatrice rare (la scène d'ouverture est littéralement hallucinante). Chalandon nous livre le portrait sans concession d'un homme qui ne sait rien de ce qui l'attend et qui part se confronter à la réalité d'une population qui le dépasse totalement.
Sorj Chalandon, Le quatrième mur , Grasset, 2013, 21,30 €
On ne peut manquer de communiquer son enthousiasme lorsqu'on découvre un livre aussi intelligent, aussi enrichissant que cette chronique littéraire et politique des années 2010 à 2012, de Sébastien Lapaque. Lapaque est édité par Actes Sud, ce qui pourrait être en soi un gage de qualité, mais c'est surtout un homme aux regards multiples, critique au Figaro littéraire, et chroniqueur à l'hebdomadaire de gauche Témoignage chrétien. Et en même temps fin connaisseur du Brésil, où il écrit dans le quotidien O estado de Sao Paulo. Son livre précédent, le roman La convergence des alizés, en était d'ailleurs un portrait kaléidoscopique.
Autrement et encore porte en sous-titre contre-journal, sans doute parce qu'il ne s'agit pas d'un déroulé chronologique, mais plutôt d'une succession de points de vue sur les événements, l'histoire, la littérature, la musique, le bon vin et toute cette sorte de choses, toujours érudits et toujours en contrepoint de ce qu'il est convenu de penser. Constitué prinicipalement de textes écrits pour les journaux cités, ainsi que pour le Monde diplomatique et le Magazine littéraire, c'est le parfait bréviaire de l'homme libre, et j'emploie le mot bréviaire parce que chaque jour il peut être lu, au hasard, histoire de se souvenir que la pensée doit rester détachée des contingences quotidiennes. Le livre est certes marqué par les moments qu'il commente, et les personnages qui en font l'actualité. On vivait ces années-là, en France, sous une autre présidence. Cet arrière-plan n'entache cependant pas la lecture, puisque celle-ci s'accompagne en permanence de références à Saint-Augustin, Marx, Gramsci, Camus, Bernanos, mais aussi Houellebecq, Tallandier, Baudelaire, Adorno et tant d'autres qu'on se demande ce que Lapaque n'a pas lu.
Bon, être enthousisaste n'oblige pas à tout partager de ce que dit l'auteur, c'est sûr. Mais encore une fois, lire intelligent est un plaisir.
Sébastien Lapaque : Autrement et encore, Actes Sud, 2013, 360p.
Empreint du souffle poétique des contes orientaux, ce livre bref est une lettre imaginaire, celle que le narrateur écrit à sa bien-aimée, qu'il n'a pourtant guère connue. Pour avoir osé l'approcher, lui petit paysan alors qu'elle est la fille d'un riche homme de pouvoir, il sera en effet jeté en prison, torturé et oublié du monde durant quinze années. Enfin libéré, brisé, affaibli, il renouera lentement avec la vie grâce à l'homme qui l'a recueilli, Abbas, un poète érudit qui le conduira à l'écriture de ce texte salvateur. Un très beau moment de lecture.
Peter Hobbs : Un verger au Pakistan, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Editions Bourgois, 140p.