On a quelque peine aujourd'hui à mesurer la distance qui nous sépare des années septante. Ces années d'utopie, au lendemain de mai 68, où une génération qui sortait de l'adolescence rêva d'un autre monde, n'ont plus grand chose à voir avec notre réalité, plombée et sans vision bien claire. Il y a donc une certaine nostalgie, mais aussi comme toujours beaucoup d'humour, dans le dernier livre de Jean-Luc Outers.
Trois jeunes gens, Juliette, Hippolyte et César, fraîchement entrés à l'université, ont la tête ailleurs que dans ce "monde adulte qui se profilait comme une échéance et ressemblait à l'identique à celui des parents, englué dans la répétition des jours" . Il y avait ailleurs des raisons de rêver, de se révolter, de s'engager.
Pendant que des dictatures s'effondraient dans le sud de l'Europe, dans un Portugal fatigué de ses guerres coloniales, en Espagne avec la mort de Franco, en Grèce avec la chute des colonels, et qu'hélas d'autres s'annonçaient au sud de l'Amérique, il s'inventait chez nous un monde rêvé de vie communautaire, de relations humaines sans hiérarchie, de parole ouverte, comme dans cette "Ecole des sept lieues" que raconte le roman. Une institution résidentielle qui accueille les exclus et qui, pour ceux qui ont vécu cette époque (ou la vivent encore puisque Le Snark existe toujours à Houdeng-Aimeries) témoigne de sa créativité.
Et parfois aussi de ses limites. Eric, l'adolescent phobique inspiré de Dolto, qui traverse le livre, en est une figure, contrepoint tragique à une évocation littéraire empreinte de légèreté, récurrente dans l'oeuvre de Jean-Luc Outers.
Celui-ci est à nos yeux, un des plus "belges" des écrivains francophones de ce pays. Ses livres, toujours imprégnés de sa propre histoire, le sont aussi d'autodérision. La vie est grave certes, mais elle est aussi légère, "lueur tremblante sur la surface de la terre".
Jean-Luc Outers : De jour comme de nuit, Actes Sud, 2013, 344p.
« Messe noire » de Olivier Barde-Cabuçon
Après le sympathique « Casanova et la femme sans visage » (qui sort également en poche ce mois-ci), voici les deuxièmes aventures du Commissaire aux morts étranges . La messe noire est à l’honneur sous le règne de Louis XV où le parti des dévots tente de contrer la montée des superstitions et de l’astrologie. Un roman historique sans prétention mais qui permet de passer un bon moment, entre humour et magie noire.
Olivier Barde-Cabuçon, Messe noire, Actes Sud, 2013, 368 pages, 22.90 €
« 6h41 » de Jean-Philippe Blondel
Un homme et une femme se retrouve assis l’un à côté de l’autre à Troyes dans le train de 6h41 à destination de Paris. Ils se reconnaissent, presque au premier regard. Mais ils ne se parlent pas. Et se souviennent … C’était il y a vingt-six ans, une histoire d’amour brève, quatre mois tout au plus, qui s’est mal terminée. Une de ces histoires d’amour qui compte si peu dans une vie. Mais à propos, qu’ont-ils fait de la leur ? Il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Ce roman est assurément l’un d’eux.
Jean-Philippe Blondel, 6h41, Buchet Chastel, 2013, 231 pages, 15.00 €
« Méfiez-vous des enfants sages » de Cécile Coulon
Cécile Coulon, une jeune auteur qui monte, à découvrir d’urgence pour les amateurs de littérature américaine. Lua, élevée par des parents trop originaux pour la comprendre, est livrée à ses propres réflexions. Tranche de vie. Court et brillant.
Et du même auteur, en grand format cette fois : « Le Roi n’a pas sommeil ». Magnifique roman étonnamment mature de la part d’une auteur de 22 ans.
Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages, Points, 2013, 120 pages, 5.20 €
« Bleus horizons » de Jérôme Garcin
Jean de la Ville de Mirmont était un écrivain promis au meilleur avenir. Il meurt très jeune en 1914 avant de devenir l’auteur brillant que son frère d’arme voyait en lui. Lui survivant, ce dernier n’aura de cesse de perpétuer la mémoire de son ami disparu et de faire connaître au monde une œuvre encore inédite. Un roman d’une grâce infinie où l’on croise François Mauriac et Gabriel Fauré.
Jérôme Garcin, Bleus horizons, Gallimard, 2013, 212 pages, 16.90 €
« Géronimo a mal au dos » de Guy Goffette
C’est en poète et en vieil enfant que Guy Goffette revient sur son enfance gaumaise. Rudesse d’une éducation et paysages buissonniers jouent à cache-cache avec la pudeur des sentiments et l’impudeur d’un roman-sur-soi, d’un roman de soi par l’un de nos meilleurs auteurs.
Guy Goffette, Géronimo a mal au dos, Gallimard, 2013, 172 pages, 16.90 €
« Le Peintre d’éventail » de Hubert Haddad
Un livre pour amateurs de jardins et de haïkus. Au Japon, un homme fuit le passé en se réfugiant dans un petit hôtel tenu par une ancienne courtisane, et agrémenté d’un superbe jardin. Il y trouvera un maître de la peinture, un destin et peut-être l’apaisement… Un texte tout en contemplation sur le fragile de l’existence.
Hubert Haddad, Le Peintre d'éventail, Zulma, 2013, 187 pages, 17.00 €
« Noces de neige » de Gaëlle Josse
En 1881, une jeune aristocrate russe quitte se résidence d’été sur les hauteurs de Nice. Pendant le voyage, les secrets révélés l’entraîneront vers une issue inattendue. En 2012, Irina, une jeune moscovite, est sur le point de faire le voyage en sens inverse. L’une a tout, l’autre rien. Elles ne se connaissent pas, ne se rencontreront jamais. Pourtant leurs destinées sont proches. Des sœurs de hasard … Un court roman élégant où le charme le dispute à la cruauté. Peut-on malgré tout échapper à sa condition ?
Gaëlle Josse, Noces de neige, Autrement, 2013, 176 pages, 14.00 €
« La crue de juillet » de Hélène Lenoir
La sombre rumeur d’un accident ébranle une ville en proie à des pluies diluviennes où Thérèse débarque pour rencontrer un peintre célèbre. Mais rien ne se passe comme prévu. Personne n’est là pour l’accueillir, et il s’avère peu probable que l’artiste soit en mesure de la recevoir. A la terrasse d’un café, un quinquagénaire la regarde, charmé. Alors que tout les sépare, une rencontre est-elle possible ? Elliptique et énigmatique, ce roman exigeant vaut le détour, tant pour ses qualités stylistiques que romanesques.
Hélène Lenoir, La crue de juillet, Editions de Minuit, 2013, 158 pages, 14.50 €
« L’homme sans bagages » de Emmanuelle Pol
Un homme guidé par un désir de liberté totale : pas d’attache, pas de patrie, pas de famille, toujours partir ailleurs, avec une jouissance totale. Mais peut-on vraiment échapper à cette part d’histoire que chacun porte en soi dès sa naissance ? Une vie racontée tambour battant par cette belge d’adoption, déjà remarquée pour son livre précédent L’atelier de la chair.
Emmanuelle Pol, L'homme sans bagages, Finitude, 2013, 156 pages, 15.50 €
« Dans l’ombre de la lumière » de Claude Pujade-Renaud
Au 4e siècle, dans ce qui est aujourd’hui l’Algérie, Augustinus vécut une quinzaine d’années avec une jeune femme, avant de la répudier et de devenir celui qu’on connaît sous le nom de Saint-Augustin. Mais qui fut cette jeune femme qui vécut dans l’ombre cachée du grand homme, et comment a-t-elle pu, malgré tout, lui rester fidèle toute sa vie ? Un beau portrait de femme, dans son époque, en même temps qu’une réflexion sur l’ambiguïté des pouvoirs spirituel et temporel.
Claude Pujade-Renaud, Dans l'ombre de la lumière, Actes Sud, 2013, 304 pages, 21.80 €
Que peut ressentir, ou vivre, un écrivain africain qui retourne chez lui après vingt ans d'absence, vingt années en Europe et en Amérique, dans un univers qui n'a plus grand-chose à voir avec son milieu d'origine ?
C'est l'expérience intéressante que relate Alain Mabanckou, invité par l'Institut français à Pointe-Noire, cette ville du Congo-Brazzaville en bordure d'océan dont il est originaire. L'Institut français, c'est le "bras culturel" du Ministère français des Affaires étrangères, l'opérateur qui agit en relation étroite avec le réseau culturel français à l'étranger.
Et précisément, un enfant du pays, expatrié depuis longtemps, qui n'est jamais revenu à la mort de ses parents, mais qui revient dans les pas de l'ancienne métropole, ne peut que constater sa différence. Au-delà des retrouvailles avec sa famille, et de l'omniprésence de la mère disparue, au-delà des traces de sa jeunesse, dont le collège, ou le cinéma Rex (où sont tous les cinémas Rex de nos enfances ?), au-delà des personnages dont on comprend qu'ils ont nourri les romans de Mabanckou, au-delà de cette Afrique où les esprits côtoient les réalités de vies souvent difficiles, l'étonnement et l'intérêt de ce livre viennent de cette distance que l'écrivain ne nomme pas, mais qu'il décrit "en creux". Est-il devenu un étranger, un blanc, un "américain" ? Un bel exemple d'acculturation, comme disent les anthropologues.
Un livre, aux dires de l'auteur, qui lui sert de tombeau, ...et de résurrection.
Alain Mabanckou : Lumières de Pointe-Noire, Editions du Seuil, 2013, 287p, €19,50.