Si le titre choisi par Nicolas d'Estienne d'Orves pour son nouveau roman peut paraître contradictoire - la fidélité ne se partageant pas - c'est qu'il est en fait fort bien choisi, et résume à merveille les ambiguîtés de son héros, et d'une époque.
Paris, 1940. Le bruit des bottes allemandes pénètre dans la capitale francaise, à la grande joie de Guillaume Berkeley, natif des îles anglo-normandes et exilé de fraîche date. En effet, c'est peut-être à ce moment-là que tout bascule pour le jeune homme, confronté à un choix qu'il se refuse à faire (y pense-t-il seulement?). Mais Guillaume préfèrera toujours se laisser porter...
Grâce à ce personnage, dont il parvient avec talent à justifier tous les revirements (collaborateur puis résistant), N. d'Estienne d'Orves brosse un portrait vivant de ces années troubles. On y rencontre notamment une foule de célébrités alors plus ou moins compromises avec le Reich... Les péripéties sont nombreuses, la construction ingénieuse et le final machiavélique, moment où le lecteur n'est pas le seul à se faire berner (nous n'en dirons pas plus!).
Un gros roman très accessible dans lequel les pages succèdent aux pages...
Nicolas d'Estienne d'Orves : Les Fidélités successives, Albin Michel 2012, 715 p.
Après le succès de son premier ouvrage Le club des incorrigibles optimistes, Jean-Michel Guenassia revient avec un nouveau vrai grand roman, populaire et intelligent, qui retrace l'itinéraire d'un médecin juif pragois tout au long du dernier siècle, le vingtième. De son arrivée à Paris en 1936, avec en arrière-fond le Front populaire, la guerre d'Espagne, la seconde guerre mondiale, puis le départ à l'Institut Pasteur d'Alger, Joseph K., devenu spécialiste du paludisme et des maladies tropicales, n'aura pas une vie tout à fait ordinaire. C'est à Prague que l'histoire, ou même l'Histoire, basculera pour lui, lorsqu'il soignera un révolutionnaire sud-américain, retour d'une déroute africaine. Ernesto G., on le sait, mena une guerilla perdue dans la jungle congolaise.
Un livre au souffle romanesque puissant déjà plébiscité par ses lecteurs.
Jean-Michel Guenassia : La vie rêvée d'Ernesto G., Albin Michel 2012, 535p.
A la veille de la venue du Führer à Salzbourg, Otto J. Steiner, critique musical fulmine. Cloîtré dans un sanatorium avec une tuberculose galopante, il s’irrite de voir son cher Festival de musique classique asservi aux soudards SS .
Nous sommes en 1939, la guerre se met en place en Europe mais il ne le perçoit qu’aux altérations et pénuries, aux disparitions soudaines des membres de sa famille, aux relents antisémites, aux blessés du front qui prennent la place des malades et au marché noir qui s’installe. Tout cela l’atteint à peine, tant l’art seul lui importe. Le lecteur lit son journal intime, écrit en secret, amer, ironique, volontaire. Juif, il se revendique « autrichien de confession phtisique », rien d’autre et décide de venger Mozart.
Impossible de vous en dire plus sans dégoupiller ce roman de petit calibre dont le final, grandiose, nous explose à la figure. Formidablement tenu, inattendu, impertinent et réjouissant, voilà un livre qui venge et la culture et les victimes du nazi.
Raphaël Jerusalmy : Sauver Mozart, Actes Sud, 2012, 160p.