Et revoilà Sagalovitsch !
Simon, de son prénom, dont nous avions déjà fait la connaissance du personnage éponyme dans le précédent Loin de quoi ?, publié en 2005. Simon était alors juif exilé à Vancouver, déprimé à son arrivée, point trop en meilleure forme par la suite. Mais justement : chez Sagalovitsch, à force de désespoir, on rigole.
Il en est de même dans la récente Métaphysique. Alors qu'il y avait rencontré une belle, Simon doit quitter le Canada pour rentrer à Paris, soutenir une soeur qui ne va pas mieux que lui. Il la retrouve, donc, puis les jours s'écoulent et... Simon s'ennuie. Mais pas le lecteur ! Car Simon va de temps en temps chez le rabbin, avec qui il a des conversations bien étonnantes ; car Simon n'a pas prévenu sa famille de son retour, mais celle-ci n'est jamais loin ; car un jour Simon se croit investi d'une mission divine, et le voilà qui fait du zèle (ou du moins essaie !).
Attention : humour féroce, lecteurs sensibles s'abstenir.
Laurent Sagalovitsch, La Métamorphose du hors-jeu, Actes Sud, 2011.
Sven Langhens, Danois installé dans le Lubéron, est spécialiste des microsons. Grâce à du matériel dernier cri, il passe ses journées à enregistrer le tâtonnement des taupes dans leurs galeries, l'épanouissement des crocus au printemps, la mastication d'une laitue par un escargot, la sourde dilatation des pierres au soleil ... Son épouse Gerda, assommée d'ennui, décide de le quitter en lui laissant un fatras d'objets hétéroclites. Sven et sa curiosité ne tardent pas à être titillés par un étrange recueil rédigé par un dénommé Rudolf Erich Raspe. Eminent géologue allemand du XVIIIe siècle à l'existence chaotique et fantasque, ce dernier est aussi le premier narrateur des aventures du Baron de Münchhausen. Intrigué par les travaux de ce lointain aîeul sur les "singstein", Sven décide de partir pour l'Irlande à la recherche de ces "pierres qui chantent" aux propriétés acoustiques étonnantes. Cette chronique drolatique et truculente n'est pas sans rappeler les meilleures lignes de Jean Echenoz. La musique est enivrante et inspirée, le ton est décalé et déroutant, les rencontres rugueuses et fraternelles . On aime à suivre les traces d'un héros qui se perd pour mieux se retrouver.
Bertrand de la Peine, Bande-son, Minuit, 2011, 13.00 €
Après une entrée remarquée dans l’écriture avec Une éducation libertine, paru il y a deux ans, Jean-Baptiste Del Amo revient avec un second roman qui ne ressemble pas trop au premier. Moins surprenant sans doute. Il se passe à Sète, sur une seule journée, autour de cinq ou six personnages de la même famille, on est donc loin de la Cour des miracles du siècle des Lumières qui servait de cadre au précédent. Deux frères et une soeur, Albin, Jonas et Fanny, qui doivent rejoindre leur mère le soir même, pour un repas de famille. Ah ! les familles… On sait que les choses n’y sont pas toujours simples, et à considérer les relations entre les membres d’une fratrie, on ne peut éviter de songer à l’empreinte qu’y laisse inévitablement la patte des parents. Un père marin, décédé, au caractère bien trempé, voire plus ; une mère en retrait, vivant dans le silence entre son homme et ses enfants ; et ceux-ci qui tentent de se faire une place dans le monde. Un classique roman familial ? Pas seulement. Les trois parties du livre portent les noms des Parques, Nona, Decima, Norta, représentées dans l’Antiquité comme celles qui tiennent le fil de la vie. Nona tient le fuseau, Decima marque le sort qui échoit à l’individu, Norta coupe le fil. On naît, on vit, on meurt, et “les vivants défigurent la mémoire des morts”, dit Del Amo.
Un beau texte, une belle écriture, un beau moment de lecture.
Jean-Baptiste Del Amo : Le Sel, Gallimard, 2010, 290p, 19,50€