Graffiti est très heureux de voir l’Académie Goncourt récompenser Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, et à travers ce prix, un véritable écrivain. C’est en effet un grand livre qui embrasse la complexité des êtres, dans une langue apaisée mais vibrante. Ces trois femmes sont africaines, dépossédées d’une partie d’elles même par les circonstances, l’histoire, la marche du monde. Trois récits, liés entre eux par le hasard ou le destin, donnent lieu à ces portraits magnifiques, de femmes mais aussi d’hommes, tout en nuances, intelligence et poésie. Les puissants y sont faibles, les faibles y sont dignes, portés par un souffle antique. Car la violence, l’abus, la déchéance, la résignation et la révolte ont ici de la grandeur et une théâtralité qui donnent aux récits de ces femmes abandonnées, trahies, vendues, une beauté tragique. Le passé colonial, les rapports Nord-Sud, l’exil, la crise économique, la parentalité, sont en filigrane de ce roman…puissant.
Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009
Présenté par l’éditeur, non comme une suite, mais comme un prolongement de Faire l’amour et Fuir, le nouveau livre de Jean-Philippe Toussaint s’inscrit en effet dans une continuité d’écriture étonnante. Il offre au lecteur une expérience romanesque originale, maîtrisée, toujours marquée de l’empreinte “Minuit” (c’est l’éditeur), une distance et une neutralité en trompe-l’oeil. Mais le roman va plus loin. Revenant sur l’amour/désamour qui lie le narrateur à Marie, Toussaint raconte trois moments de vie dont l’intensité dramatique se double par moments de l’intrusion du narrateur comme observateur, jusqu’à la fusion retrouvée des amants. Trois scènes fortes, et qu’on n’oubliera pas : Marie voit un amant de passage mourir dans ses bras juste après l’amour ; le retour mouvementé et sportif, en avion cargo depuis Tokyo, de ces amants fugaces et d’un cheval de course ; les retrouvailles du narrateur et de Marie à l’île d’Elbe au milieu d’un incendie de forêt. C’est très fort, et sans doute est-ce une manière d’évoquer la vérité sur Marie, cette réalité objective des faits dont l’écrivain Toussaint parle magnifiquement : “…J’aurais beau l’ensevelir de mots… je savais que je n’atteindrais jamais ce qui avait été pendant quelques instants la vie même, mais il m’apparut alors que je pourrais peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s’inspirerait de ce qui avait été la vie et la transcendrerait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité, et ne viserait qu’à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et sensuelle, une vérité proche de l’invention, ou jumelle du mensonge, la vérité idéale”.
C’est presque trop parfait.
Une des découverte de la rentrée 2009. Pour vous le présenter, voici le commentaire d’Hubert Artus, sur le site Rue89 : une parfaite évocation d’un livre qui ravira ses lecteurs.
“Vous prenez « Une vie française » de Jean-Paul Dubois, vous y ajoutez la guerre d’Algérie, y mettez Sartre et Kessel comme figures intellectuelles de références, et vous avez un Club des incorrigibles optimistes à Denfert-Rochereau. Roman d’adolescence (de Michel Marini, 12 ans en 1959, amateur de rock et de baby-foot) et roman de l’Europe des années soixante. Igor, Sacha, Pavel, et bien d’autres, ont fui Pologne, Roumanie ou Russie, et vivent à Paris. Ils sont nostalgiques du vrai socialisme. Ils jouent aux échecs dans une arrière-salle, parlent politique, écrivent. Une arrière-salle où on croise Sartre et Kessel. Qui jouent aux échecs. Pour Marini, il y a aussi la guerre d’Algérie, spectre national et familial… C’est cette balance entre la vie familiale et la vie intellectuelle non seulement d’un pays, mais d’un continent, que donne à voir Guenassia.”
Jean-Michel Guenassia : Le club des incorrigibles optimistes, Albin Michel, 2009, 754p.