On connaît l’origine de ce livre. Yvon Toussaint, ancien rédacteur en chef du quotidien bruxellois Le Soir, pianotant sur Internet, tombe un jour sur l’évocation d’un homonyme, Yvon Toussaint comme lui, sénateur haïtien assassiné en 1999. L’écrivain, au demeurant toujours journaliste dans l’âme, n’hésite pas. Via New York et Miami, pour y rencontrer la fille et la veuve du sénateur, il embarque pour Haïti. Et commence alors une expérience assez étonnante, où le narrateur entre lui-même dans le récit, personnage d’une enquête qui ne sera pas sans risques. Il est sûr qu’à remuer de vieilles histoires de crime, on dérange, et on le lui fera sentir. Mais aussi parce qu’Haïti est le pays du Vaudou, qui célèbre particulièrement le thème des jumeaux. Il faut accepter ainsi “une fois pour toutes que le vif puisse tout autant saisir le mort que l’inverse“. Phénomène de dédoublement, vertige de l’Yvon Toussaint écrivain (il se tutoie dans le texte, comme pour se mettre à distance), et tout cela fait un livre passionnant et original, dont il ne faut pas négliger la part de fiction (notamment par des personnages hauts en couleur), puisque dans cette histoire, aucune vérité ne peut se dire sans qu’elle soit réécrite par le romancier.
Autre chose encore, de taille. A l’heure où Haïti connaît un drame terrifiant, ce livre fait aussi œuvre de témoignage de cette île lointaine, terre tragique mais fascinante, adossée à un Saint-Domingue que fréquentent tant de touristes innocents, ou inconscients, c’est selon.
Yvon Toussaint : L’assassinat d’Yvon Toussaint, Fayard, 2010, 372p.
Sylvia Plath et Ted Hughes forment un couple mythique des lettres de langue anglaise. Tous deux poètes, ils se rencontrèrent à Cambridge en 1956, et vécurent quelques années de passion et de création, alliage difficile et périlleux… D’autant que Ted, aussi fort et solaire que Sylvia était fragile et lunaire, y mêlera très vite son amour pour une autre poétesse, Assia Wevill. C’est ce triangle amoureux que raconte ce livre, à la manière de Claude Pujade-Renaud : une mosaïque de voix, qui toutes reconstituent le fil d’une histoire tourmentée, marquée par le suicide de Sylvia en 1963, et celui d’Assia, en 1969. Car une voix reste silencieuse tout au long du livre, celle du “braconnier”, Ted Hughes, et son silence est comme une ombre portée sur le destin de deux femmes troublantes, et troublées, jusqu’à la mort.
Trente-cinq ans plus tard, pourtant, en 1997, peu avant sa propre mort, Ted Hughes parlera, au travers du recueil des 88 lettres-poèmes qu’il n’avait cessé d’écrire à Sylvia.
En parallèle, notons l’intérêt à lire la poésie de Sylvia Plath, Arbres d’hiver (Poésie Gallimard), Ariel (Monde entier, Gallimard ; ou le même texte lu par Isabelle Carré, aux Editions des Femmes).
Claude Pujade-Renaud : Les femmes du braconnier, Actes Sud, 2010, 21 €.
Pierre Michon est couronné par l’Académie Française pour « Les Onze » paru chez Verdier, une maison d’édition riche d’ auteurs de grande qualité, et qui vient de perdre malheureusement son fondateur.
Depuis son premier roman, « Les vies minuscules » (Folio), Pierre Michon déploie une écriture rare, exigeante, humble dans la démarche et d’une ampleur exceptionnelle. « Les Onze », s’adresse au visiteur du Louvre planté devant le tableau peint en 1794 par François-Elie Corentin, maître de David et de Tiepolo et…inventé ! Saint-Just, Robespierre, sont parmi ces Onze du Comité de Salut Public, dit de la Terreur. Pierre Michon mêle l’histoire à la fiction et brosse à son tour des portraits savoureux de ces justiciers en sursis trempés dans un idéal de sang et de boue. Le peintre, c’est bien lui, qui travaille sous une lumière de Loire, et procède par petites touches d’or et rouge, d’humour et de cruauté, avec le doigté d’un Rembrandt
Pierre Michon : Les Onze, Verdier, 2009